Déplacés climatiques : "Il est urgent que le Sénégal et la Banque mondiale changent de politique", alerte l'ONG Human Rights Watch

Les réinstallations vont se multiplier au fur et à mesure que les crises climatiques s’intensifient, alerte Human Rights Watch dans un rapport publié lundi.


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Quet Ndar, quartier de pêcheurs a Saint-Louis du Sénégal, connu pour avoir l'une des plus fortes densités de population au monde. Situé sur la langue de Barbarie, il est confronté à l'érosion côtière.Malgré les digues et autres remparts, la mer continue de détruire les habitations qui bordent la plage (31 mars 2024). (NICOLAS REMENE / LE PICTORIUM / MAXPPP)

Quet Ndar, quartier de pêcheurs a Saint-Louis du Sénégal, connu pour avoir l’une des plus fortes densités de population au monde. Situé sur la langue de Barbarie, il est confronté à l’érosion côtière.Malgré les digues et autres remparts, la mer continue de détruire les habitations qui bordent la plage (31 mars 2024). (NICOLAS REMENE / LE PICTORIUM / MAXPPP)

L’ONG Human Rights Watch publie lundi 18 août un rapport de 72 pages intitulé En attendant Dieu : déplacements dus aux inondations et réinstallation planifiée de pêcheurs à Saint-Louis, au Sénégal. Le titre fait référence à Khar Yalla, un site au nord-ouest du pays dont le nom signifie “En attendant Dieu” en wolof. Depuis près de dix ans, environ 1 000 déplacés climatiques y vivent dans une grande précarité.

Ces familles vivaient de la pêche sur une étroite péninsule, au large de Saint-Louis, dans “une zone fortement exposée aux conséquences de la crise climatique”, précise le rapport. Mais en 2015 et 2016, d’importantes inondations ont balayé leurs maisons sur la plage, “les transformant en personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDI)”. Après avoir vécu plusieurs mois sous des tentes, les familles ont accepté d’être transférées à Khar Yalla. “Les autorités leur avaient assuré que ce serait une solution de courte durée”, souligne l’ONG.

Le nom du site – ”En attendant Dieu” – illustre bien la précarité dans laquelle elles vivent aujourd’hui, déplorent les auteurs du rapport. “Il y a une promiscuité extrême. Environ 1 000 personnes habitent dans 68 maisons. Toutes les maisons, sauf une, manquent d’électricité. Il n’y a pas de système de traitement des déchets. Le site est situé en zone inondable”, décrit lundi sur France Inter Richard Pearshouse, directeur de la division Environnement et droits humains à Human Rights Watch.

Pour l’ONG, ces déplacés climatiques vivent dans des conditions “qui violent leurs droits économiques, sociaux et culturels” et ce, à cause de “l’inaction” des autorités sénégalaises. Pourtant, selon ce rapport, les autorités sénégalaises “reconnaissent” que Khar Yalla est “impropre à l’habitation permanente”. Outre l’insalubrité des logements, Khar Yalla ne dispose d“‘aucun dispensaire, d’aucune possibilité d’emploi, ni d’aucune école publique laïque”. Selon le rapport, un tiers des enfants n’est pas scolarisé. “Il n’existe pas de transports abordables pour se rendre à l’école, dans un établissement de santé ou à leur travail.”

Human Rights Watch regrette par ailleurs que les autorités n’aient pris “aucune mesure pour aider les habitants de Khar Yalla à se reconvertir professionnellement” alors qu’ils ont “tout perdu lorsque les inondations côtières ont frappé leurs communautés historiques de pêcheurs de la péninsule de la langue de Barbarie”. L’ONG relève que “les revenus de la plupart des ménages ont été réduits à des niveaux inférieurs au seuil de pauvreté international pour un pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure comme le Sénégal”.

“Nous nous demandons parfois si les autorités nous considèrent comme des êtres humains, des Sénégalais. Ils sont bien conscients de notre situation. Pourquoi ne nous entendent-ils pas ?”, interroge Khady, habitante de Khar Yalla depuis près de 10 ans. Cette mère de famille de 26 ans partage une maison de trois chambres avec cuisine et un seul WC avec 14 proches. “Nous n’avons aucun soutien de la part des autorités, et lorsque nous avons essayé de trouver notre propre solution, elles nous en ont empêchés”, témoigne une autre habitante.

Après les inondations de 2015 et 2016, “le gouvernement sénégalais a sollicité et obtenu un prêt de la Banque mondiale pour lancer le ‘Projet de relèvement d’urgence et de résilience à Saint-Louis’ (SERRP)”, explique Human Rights Watch. Ainsi, grâce à ce projet, le gouvernement sénégalais a pu reloger “définitivement les familles déplacées en 2017 et 2018 dans de nouvelles maisons construites” dans le village de Diougop, à 10 kilomètres à l’intérieur des terres. Les autorités relocalisent également “environ 11 000 autres personnes qui n’ont pas encore été déplacées, mais qui vivent actuellement dans les maisons les plus proches de la mer, sur la langue de Barbarie”, qui sera bientôt une zone non constructible. Mais, elles ont “abandonné à Khar Yalla, les autres membres de leur communauté, déplacés depuis 2015 et 2016”, dénonce Human Rights Watch.

“L’expérience de Khar Yalla montre qu’une planification inadéquate des réinstallations liées au climat peut entraîner des déplacements prolongés, au lieu de solutions durables. Il est important que le Sénégal et la Banque mondiale changent de politique”, appelle sur France Inter, Richard Pearshouse, de Human Rights Watch. Les politiques actuelles de la Banque mondiale doivent être “remplacées ou actualisées” car elles “ont été conçues pour les réinstallations effectuées dans le cadre de projets de développement, qui sont fondamentalement différentes des réinstallations planifiées liées au climat”, explique l’ONG dans son rapport.

Le rapport avertit que les réinstallations vont se multiplier au fur et à mesure que les crises climatiques s’intensifient. Une autre ONG, Oxfam, estime à 1,2 milliard le nombre de déplacés climatiques à l’horizon 2050.


Méthodologie : Human Rights Watch explique avoir mené des entretiens “auprès de plus de 100 personnes, dont des personnes déplacées, des responsables gouvernementaux et des experts”, et avoir analysé des images satellites, des publications universitaires ainsi que des documents du gouvernement sénégalais, de la Banque mondiale, d’agences des Nations Unies et d’organisations non gouvernementales.


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